Tops décennie 2010-2020 (BD, Films, Romans, Jeux vidéo)

L’année 2020 qui s’achève fut riche en découvertes, et comme tous les ans je décernerai mes Massacres d’or vers la mi-décembre. Mais en attendant, je me suis dit que, toujours dans l’optique de décrasser votre inculture, cette fois-ci sur le temps long, je pouvais distinguer pour chaque grand support culturel les trois oeuvres qui, selon moi, ont dominé la décennie, bousculé les conventions, fait avancé leur art ou excellé dans leur domaine. Évidemment, il y aura peut-être des manques frappants : malgré mon niveau de connaissance beaucoup plus élevé que le vôtre, je ne peux pas avoir tout lu, tout vu et tout joué, il faudra donc accepter que cette sélection soit subjective et motivée par mes affects personnels. Trêve de bavardages, en piste !


Les 3 BD de la décennie

1 – La Brigade chimérique, BD de GESS, LEHMAN & COLIN (France) parue en 2012 (intégrale) chez L’Atalante de type Énigme/Steampunk

Lorsque l’Atalante, maison d’édition surtout connue pour publier de très bon romans de SFFF, a commencé à faire paraître en 6 tomes cette Brigade chimérique, vers 2009-2010, je me rappelle avoir été dérouté. Le dessin de Gess, qu’aujourd’hui je trouve génial avec son toucher semi-réaliste foisonnant, s’apprivoise tout de même lentement. Je ne comprenais pas tout, il me manquait sans doute des références, et je ne voyais pas bien où ça allait. Mais la fascination était semée. Je considère maintenant que c’est l’oeuvre qui m’a le plus influencé dans ma pratique narrative personnelle, tous supports confondus, et à tous les niveaux. Le récit qui mélange uchronie, faits et personnages réels, mystères à la lisière du scientifique, porosité de l’historique et du littéraire, avec une touche un peu steampunk (depuis on a pu parler de « radiumpunk ») est une merveille absolue. Le découpage est magistral, c’est un catalogue d’utilisation du langage BD : on y trouve tous les types d’ellipses, de transitions, d’interdépendances texte/dessin. Enfin l’univers proposé me touche particulièrement : les années 1930, le merveilleux scientifique mêlé au fantastique et à l’énigme – ce qu’on peut appeler aujourd’hui le « neo-pulp », mais avec un vrai propos sur l’histoire et le progrès. C’est une oeuvre parfaite tout simplement, de celles qui, discrètement, orientent et influencent tout un genre, du moins dans un certain bassin géographique, puisque la Brigade est tout entière tournée vers la mise en exergue de la culture pop francophone.

2 – Blast, série de BD (4 vol.) de Manu LARCENET (France) parue entre 2009 et 2014 chez Dargaud de type Drame/Psychologique

Un choix sans doute plus « évident » que le précédent. Que Manu Larcenet soit un des plus grands auteurs de BD francophones, dans des registres aussi variés que le strip humoristique (Le Retour à la terre), le récit dramatique (Le Combat ordinaire) ou l’expérimental (tout son travail chez Les Rêveurs) qu’il soit même entré dans l’histoire de la BD, et que Blast soit une de ses oeuvres magistrales, je pense que tout le monde en conviendra. Mais il faut parfois savoir enfoncer des portes ouvertes : Blast doit occuper un grand nombre de premières places chez tous les critiques qui s’amusent à faire comme moi des bilans de la décennie. Sa force réside en grande partie dans sa réalisation : dans un noir et blanc au trait d’une rare élégance, aux textures dingues parsemées d’accidents contrôlés à l’encre, Larcenet nous plonge dans son style et nous brutalise autant qu’il nous enchante. Le protagoniste Polza, une « grasse carcasse » en rupture sociale complète, qui cherche à pousser toujours plus loin son ambition de se soustraire à la société, jusqu’à presque disparaître, est une figure exclusive d’identification, d’autant plus forte que cette identification sera retournée violemment dans la conclusion du dernier volume. Blast fait partie de ces oeuvres qui savent saisir un « morceau » de leur époque, ici le « morceau » en question c’est la place douteuse de la morale dans une époque qui broie les individus.

3 – L’Attaque des titans, série de BD (32 t., en cours) de Hajime ISAYAMA (Japon) publiée depuis 2009 par Pika de type Survival/Steampunk

Ce qui est bien avec cette série, c’est qu’elle parcourt bien proprement la décennie : démarrée en 2009, elle va s’achever dans les mois qui viennent, probablement avec ce 33e tome qu’on attend tous, peut-être un peu après mais pas de beaucoup. Donc évidemment, j’aurais bien voulu lire la conclusion de l’histoire pour m’assurer qu’elle n’est pas pourrie (pratique très courante dans le manga en général), mais je vais accorder ma confiance à Isayama : vu le déroulement de l’intrigue, notamment depuis une poignée de tomes, ça devrait aller, on voit à peu près vers quoi on se dirige. Je renvoie évidemment à la longue critique que j’en ai déjà faite, mais cette série magistrale est incontestablement le top manga de ces dernières années, avec une écriture soignée, une réalisation correcte (ce n’est pas sa qualité saillante), un propos d’actualité puisque c’est une allégorie de la politique de crise, et une immense capacité à bousculer intelligemment les codes narratifs, par l’entremise de personnages à la fois imprévisibles et aux comportements cohérents.

Les BD qui ne sont pas passées loin du podium : 3 secondes (M. A. Mathieu), L’Arabe du futur (Riad Sattouf), Asterios Polyp (D. Mazzuchielli), La Chenille (M. SUEHIRO), Habibi (C. THOMPSON), Hitler (S. MIZUKI), Ici (R. MCGUIRE), Jaco le patrouilleur galactique (A. TORIYAMA), Macanudo (LINIERS), Manabe Shima (F. CHAVOUET), Metropolis (LEHMAN & DE CANEVA), Moi ce que j’aime c’est les monstres (E. FERRIS), Polina (B. VIVES), Portugal (C. PEDROSA), Quai d’Orsay (C. BLAIN), S’enfuir (G. DELISLE), Le Sculpteur (S. MACCLOUD), La Survie de l’espèce (JORION & MAKLES), Tu mourras moins bête (M. MONTAIGNE), Zaï Zaï Zaï Zaï (FABCARO).


Les 3 films de la décennie

1 – Gravity, film de Alfonso CUARON (Mexique) produit en 2013 par Warner Bros de type Catastrophe/Spatiale

Pour le top films, je me dois d’être honnête : depuis la naissance de mes enfants (2015 donc), je ne vais quasiment plus au cinéma, et à la maison le visionnage de long-métrages est fortement concurrencé par la lecture, les jeux vidéo et les séries télé. Ce n’est donc pas le domaine dans lequel je vais être le plus pertinent. Il n’y a du coup rien de surprenant à ce que le film qui m’ait le plus marqué ait aussi été une expérience en salle – de celles qui vous mettent une des grandes claques de votre vie. Pur exercice de mise en scène subordonné à la flottaison en apesanteur, Gravity est aussi le seul exemple à ce jour d’une utilisation pertinente du relief au cinéma. Mais pour l’avoir revu sur écran classique dernièrement, l’absence de cet artifice ne lui fait rien perdre de sa puissance : c’est un récit de survie, quasiment en plan séquence intégral, qui vous plonge dans une angoisse d’autant plus violente qu’elle est insonore et impalpable.

2 – Le Conte de la Princesse Kaguya, film de Isao TAKAHATA (Japon) produit en 2014 par Ghibli de type Conte/Merveilleux

C’est assez simple, ce qui se passe avec l’ultime film de Takahata : c’est un des moments marquants de l’histoire du cinéma d’animation. Avec un sens de l’épure qui tutoie la perfection, récit mythologique noyé dans le blanc sans rien à ajouter ni à retirer, il fournit au passage un des plus beaux character design qu’on a pu connaître dans le dessin animé. Pour une critique plus approfondie, je vous renvoie ici.

3 – La La Land, film de Damien CHAZELLE (USA) produit en 2016 par Black Label Media de type Romance/Musicale

Déni total d’objectivité : j’adore les comédies musicales et West Side Story est un de mes films préférés, je suis donc tombé sous le charme de ce film dès sa fantastique scène d’intro, qui aurait suffi à elle-seule à le distinguer parmi les plus grands films de la décennies. Tout le film est très beau néanmoins : succession de plans séquences très précis, esthétiques, avec une mise en scène qui sert à quelque chose, jolie romance pas niaise et progression narrative intelligente. Ne boudons pas notre plaisir, et pour en savoir plus je vous renvoie à ma chronique sur les comédies musicales.

Les films qui ne sont pas passés loin du podium : Blade Runner 2049 (D. VILLENEUVE), Cloud Atlas (T. TYKWER & WACHOWSKI), La Forme de l’eau (G. DEL TORO), Gone Girl (D. FINCHER), Her (S. JONZE), Les Huit salopards (Q. TARANTINO), Inception (C. NOLAN), Joker (T. PHILLIPS), Moi, moche et méchant (COFFIN & RENAUD), Premier contact (D. VILLENEUVE), La Reine des neiges (C. BUCK), Room 237 (R. ASCHER), The Social Network (D. FINCHER), Tous en scène (G. JENNINGS), Vaiana : la légende du bout du monde (CLEMENTS & MUSKER), Le Vent se lève (H. MIYAZAKI), Your Name (M. SHINKAI).


Les 3 livres de la décennie

1 – L’Homme qui savait la langue des serpents, roman de Andrus KIVIRAHK (Estonie) publié en 2015 par Le Tripode de type Récit/Fantasy historique

Je suis particulièrement content de mettre en avant cet obscur roman estonien publié chez Le Tripode, mais n’allez pas croire que je me force : c’est réellement ce que j’ai lu de plus beau, puissant, profond, ces dix dernières années dans le domaine romanesque. Ce récit historique dépeignant une peuplade des forêts aux pouvoirs étranges (dont celui, vous l’aurez compris, de communiquer avec les animaux) nous place dans une situation singulière : ses habitudes ancestrales sont bousculées par la survenue soudaine de la « modernité », qui ici prend la forme de… la mise en place du monde médiéval villageois. Retournement fulgurant de perspective, beauté de l’écriture, force de l’évocation, c’est le genre de roman qui vous marque à vie.

2 – Les Mille automnes de Jacob de Zoet, roman de David MITCHELL (Angleterre) publié en 2012 par L’Olivier de type Drame/Historique

Bon là, ceux qui me connaissent ne seront pas surpris : depuis ses Ecrits fantômes (2004), je répète à tous mes interlocuteurs que David Mitchell est le meilleur écrivain du monde, c’est mon auteur contemporain préféré, et puis c’est tout. Pas de surprise donc à trouver ici ce qui est peut-être son roman le plus abouti. Après le très expérimental (mais passionnant) Cloud Atlas, l’histoire de Jacob de Zoet nous transporte dans le Japon de la toute fin du XVIIIe siècle : aventure, romance, mystères, histoire, avec une écriture envoûtante à la narration parfaite. Si vous n’avez qu’un livre à lire pour découvrir cet auteur hors-norme, c’est celui-là.

3 – La Passe-Miroir, série de romans (4 vol.) de Christelle DABOS (France) publié de 2013 à 2019 par Gallimard de type Enigme/Steampunk

Je ne vais pas en remettre une trop longue couche sur cette saga hyper originale et bien écrite, par une autrice française qui nous signe un « coup d’essai, coup de maître », et puis enfonçons la dernière porte ouverte : c’est le Harry Potter des années 2010. J’en parle beaucoup plus longuement ici.

Les livres qui ne sont pas passés loin du podium : Au-revoir là-haut (P. LEMAITRE), La Condition anarchique (F. LORDON), Datavision (D. MCCANDLESS), Dictionnaire du cinéma fantastique et de science-fiction (F. LAFOND), Drood (D. SIMMONS), L’extravagant voyage du jeune et talentueux T. S. Spivet (R. LARSEN), L’incivilité des fantômes (R. SOLOMON), Les Meurtres de Molly Southbourne (T. THOMPSON), Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises (F. REYNAERT), Le Problème Spinoza (I. YALOM), Quand est-ce qu’on biaise (T. DURAND), Rouge gueule de bois (L. HENRY), Le Royaume (E. CARRERE), La Vérité sur l’affaire Harry Québert (J. DICKER), Vita Nostra (M & S. DIATCHENKO), Vivre sans (F. LORDON), Vogelsang ou la mélancolie du vampire (C. GERARD), Zendegi (G. EGAN).


Les 3 jeux vidéo de la décennie

1 – RimWorld, jeu vidéo de LUDEON développé en 2018 en auto-édition de type Survie/Planet opera

Dois-je vous faire l’affront d’ajouter quoi que ce soit au sujet de cette oeuvre, déjà reconnue comme le meilleur jeu vidéo de l’histoire du monde (notamment si vous aimez gérer une colonie de personnages auxquels vous allez vous attacher plus qu’à vos enfants, et qui vont mourir de mille manières fort originales) ? Je vous renvoie à ma critique pour en apprendre davantage, si toutefois je ne vous avais pas encore convaincus.

2 – Subnautica, jeu vidéo de UNKOWN WORLD développé en 2018 en auto-édition de type Survie-Exploration/Science-fiction-Maritime

Explorer un fond marin sur une planète de science-fiction, avec faune et flore sublimes, mystères enfouis et narration subtile ? Mais c’est génial ! Comment, on peut construire sa base, faire de la recherche, fabriquer des objets, et faire pousser des algues au pied de son lit ? Je signe où ? Ah, il y a encore des choses à ajouter… un aspect survie, jamais lourdingue, des éléments de survival et des émotions d’horreur pure quand on s’enfonce dans des abysses angoissantes peuplées de créatures improbables ? Bon, écoutez, n’ajoutons rien, tout le monde devrait déjà être en train de se jeter dessus.

3 – Outer Wilds, jeu vidéo de MOBIUS DIGITAL (Japon) développé chez Annapurna en 2019 de type Enigmes-Exploration/Science-fiction

Il y a des récurrences dans ce top 3, mais c’est pas exprès : encore un jeu très récent (après 2018), encore un jeu d’exploration, encore un jeu dans un registre science-fictif, encore un jeu avec de grosses trouvailles narratives. C’est normal, c’est la grande affaire du jeu vidéo, me semble-t-il, depuis quelques années : comment raconter une histoire en exploitant les spécificités du medium vidéoludique ? Des éléments de réponse avec cette oeuvre géniale, aux principes très originaux, et à l’univers vertigineux. Comme je le disais dans ma critique, j’ai de toutes petites réserves au sujet de la fin du jeu, mais c’est tout.

Les jeux vidéo qui ne sont pas passés loin du podium : The Binding of Isaac (E. MCMILLEN), Cliff Empire (LION’S SHADE), Darkest Dungeon (RED HOOK), Dead Cells (MOTION TWIN), Dishonored (ARKANE), Divinity : Original Sin (LARIAN), Endless Legend (AMPLITUDE), Far Cry 3 (UBISOFT), Iris and the Giant (L. RIGAUD), Life is strange (DONTNOD), Mass Effect 2 (BIOWARE), Oxygen not included (KLEI), Papers, please (L. POPE), Prey (ARKANE), Return of the Obra Dinn (L. POPE), Shadow Tactics (MIMIMI), South Park : le Bâton de Vérité (OBSIDIAN), Streets of Rogue (M. DABROWSKI), This war of mine (11 BITS), The Witcher 3 (CD PROJEKT), The Witness (THEKLA), X-COM : Enemy Unkown (FIRAXIS).

3 commentaires sur “Tops décennie 2010-2020 (BD, Films, Romans, Jeux vidéo)

Laisser un commentaire