Nos animateurs ont du talent (« Dragons » ; « Alerte rouge » ; « Encanto » ; « Raya et le Dernier Dragon »)

Dragons (How to Train your Dragon) : Film de Dean DEBLOIS (Canada) et Chris SANDERS (USA) produit par Dreamworks en 2010 de type Comédie dramatique/Fantasy

Euh, pourquoi personne m’a parlé de Dragons avant, on essaie de me cacher des choses, c’est un complot mondial c’est ça ? (c’est pas vrai, ma femme me dit depuis dix ans que c’est génial). Super film d’animation tous publics, avec d’excellents designs de dragons, une mise en scène bien faite et surtout un propos pas trop con. Cela démarre comme une charge anti-viriliste : le héros est Harold, un ado futé mais dépourvu d’aptitudes physiques ou martiales alors qu’il vit dans une tribu viking continuellement assaillie par des dragons – et dans laquelle la chasse aux dragons, bien entendu, est un passage obligé vers l’âge adulte et une démonstration d’adhérence aux valeurs locales. Mais le scénario va même plus loin : le dragon furtif que Harold va apprivoiser, c’est une image des pulsions animales que l’on doit contrôler, entraîner, dresser (comme l’indique le titre des romans en VO : « how to train your dragon ») pour vivre en société. Tout le film est une parabole du travail que représente à la fois l’acceptation et la modération de nos instincts dans l’optique d’une vie collective harmonieuse. Aussi plaisant qu’intéressant, qu’attendons-nous pour coller nos enfants devant ?

Ma note : 8/10


Alerte rouge (Turning Red) : Film de Domee SHI (Chine) pour Pixar (USA) produit par Disney en 2022 de type Comédie dramatique/Fantastique

C’est fou, le sujet du passage des jeunes filles à l’âge adulte reste un standard qui fonctionne à tous les coups. On a toujours raconté des histoires qui parlent de ça, on continuera toujours, et ce sera toujours aussi intéressant tant qu’on l’abordera avec de nouveaux angles d’attaque, de la variété et de l’empathie. En abordant frontalement et de manière explicite l’éveil du désir sexuel, associé à l’apparition des menstruations, le dernier Pixar (dirigé par une jeune femme asiatique, est-ce une surprise ?), trouve le ton juste en reliant étroitement cette problématique avec celle de l’identité. En effet la transformation en panda roux de Meilin, la protagoniste, symbolise non seulement l’acceptation de ce nouveau corps qui s’éveille, mais aussi l’appropriation d’une culture antagoniste. En l’occurrence il s’agit de la culture occidentale, qui sous forme de boys bands et de Tamagotchis (le film s’adresse clairement aux parents trentenaires, beaucoup plus qu’à nos gosses) vient concurrencer la culture chinoise d’origine de Meilin et contrarier sa mère – figure conservatrice de la tradition et du contrôle. Evidemment, le salut résidera dans le mélange, l’entre-deux, la cohabitation, et c’est tout aussi banal que juste. Ce qui vient joliment enrober tout cela, c’est la mise en scène punchy, clichetoneuse à souhait mais très dynamique dans sa première moitié, avant une accalmie un peu trop atone et un final ébouriffant qui surenchérit à bon escient.

Ma note : 7/10


Raya et le Dernier Dragon : film de Don HALL & Carlos LOPEZ ESTRADA (USA) produit par Disney en 2021 de type Aventure/Fantasy

Encanto : La Fantastique Famille Madrigal : film de Byron HOWARD, Jared BUSH & Charise Castro SMITH (USA) produit par Disney en 2021 de type Mystère/Fantastique

Ah ben parfait tiens, voilà. Allez les enfants, on se rassemble, on s’assoit et on écoute. La leçon du jour : « qu’est-ce que la mise en scène, et pourquoi en cinéma c’est plus important que tout le reste ? » Sujets étudiés : les deux derniers Disney.

Soit notre sujet numéro 1 : Raya et le Dernier Dragon, une aventure ultra classique dans un univers de fantasy asiatique aux sources d’inspirations possiblement envahissantes (Avatar le dernier maître de l’air, Dragons de Dreamworks, Ghibli…) mais qui traite d’un sujet intéressant avec une certaine profondeur, voire une certaine insistance (j’ai dit lourdeur ? non non). Ca parle de conflictualité fondamentale. Pourquoi les humains disconviennent entre eux, et pourquoi la confiance est le ciment des sociétés. C’est rigolo, ils font même un parallèle pas bête à un moment du film avec le crédit, au sens financier du terme, qui a en effet la même racine lexicale. Bref c’est pas con comme film, mais outre le classicisme de la trame narrative, ça manque de mise en scène.

Et venons-en à notre sujet numéro 2 : Encanto est structuré autour d’un mystère (y a pas à dire, c’est mon genre narratif préféré) : pourquoi Mirabel, la protagoniste, est-elle la seule de sa fantasque famille à ne pas disposer d’un pouvoir magique ? Le début m’a fait très peur, avec cette chanson inaugurale qui essaie de caser beaucoup trop d’informations et de forcer notre identification – qui n’avait pas besoin de ça, puisque par la suite les personnages seront parfaitement bien décrits et définis, chacun ayant son passage consacré. L’idée est de bourrer l’exposition pour nous projeter le plus vite possible dans cette manière de huis-clos focalisé sur la maison familiale, excellente référence au réalisme magique à laquelle je suis fort sensible (difficile de ne pas penser au Cent ans de solitude de Garcia Marquez). La fin est un peu ratée aussi car trop nunuche, et tout ça n’est pas super profond (psychogénéalogie familiale et tout le toutim, déjà vu tant de fois par exemple dans Coco). Mais entre ce final quelconque et cette exposition lourdingue, on a une heure de cinéma assez exceptionnelle, parce qu’il y a tout le temps de la mise en scène.

« Mais bon sang de bois Nico, qu’entends-tu à la fin par mise en scène ? » Merci de me poser la question, voix rhétorique désincarnée, et laisse-moi te répondre. La mise en scène, c’est l’articulation de la narration (ce qui est raconté) et de la forme (ce qui est représenté) par l’entremise du langage artistique spécifique utilisé (comment c’est raconté et représenté). En cinéma, la mise en scène est permise par le montage. Le montage, c’est la grammaire cinématographique. C’est différent en BD (on parle plutôt de découpage), ou en musique (composition), ou en littérature (écriture). Si on veut décortiquer un film, ou n’importe quelle oeuvre d’ailleurs, les bonnes questions à se poser sont donc : de quoi sont constitués les éléments de base (les plans), et comment sont-ils agencés entre eux (comment sont-ils montés pour donner une scène ou une séquence, et comment fonctionne l’agencement de toutes les séquences entre elles pour former une histoire) ?

Dans Encanto, chaque plan a été pensé pour produire de la mise en scène. Prenons la maison par exemple : elle est le « personnage » matriciel de l’histoire, et comme elle est magique, elle produit des effets sur tous les membres de la famille par plein de petites manifestations plus ou moins discrètes. Dans la maison, les personnages ne se déplacent pas comme habituellement, ils sont déplacés par le sol pavé de la maison, les objets virevoltent, les décors se transforment et s’adaptent à l’atmosphère du moment. De manière générale, ce qui se passe dans le plan (décors, mouvements, actions, couleurs, sons, musiques) s’articule, se complète, s’harmonise, pour produire à la fois du sens et du plaisir à être regardé.

Et c’est ce qui manque à Raya et le Dernier Dragon, qui ne propose pas une mauvaise mise en scène, mais simplement peu de mise en scène, peu de séquences marquantes, ou même efficaces. D’où l’impression de platitude ; alors que le sujet semblait un peu plus intéressant que celui d’Encanto, ce dernier demeure un bien meilleur film parce qu’il nous régale pendant une heure. Vous pouvez raconter la chose la plus profonde du monde, si vous ne travaillez pas la mise en scène qui se met au service du sens, vous ne remportez pas l’adhésion. C’est pas malheureux ?

Après attention, j’ai vraiment aimé Encanto mais c’est pas encore du niveau de l’âge d’or Disney des années 2010 (Raiponce, Reine des neiges, Vaiana, Zootopie…). Sur le plan esthétique du film d’animation, OK : on atteint des sommets, mais c’est un constat général qui n’est pas spécifique à Disney (voyez Arcane, Tous en scène, etc.) Les scénario sont maîtrisés, mais ils avaient un côté plus « simple et carré », avec rien à ajouter ni à retirer, chez les glorieux anciens. Les chansons sont bien, mais moins bien. Bref, je prends du plaisir, mais j’attends encore d’être estomaqué par quelque chose de nouveau. Et idem chez Pixar, d’ailleurs : Alerte rouge était très bien, mais ce n’est clairement pas la claque annuelle que nous mettait le studio à une époque, par exemple en enchaînant Monstres & Cie, Nemo, Ratatouille, Wall-E et des Toy Story au milieu. Rendez-vous dans quelques années ?

Ma note pour Raya et le Dernier Dragon : 6/10

Ma note pour Encanto : 8/10

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