Les essais de l’été

Le cinéma de Robert Zemeckis : essai de Remi GRELOW (France), publié en 2021 chez Rouge Profond de type Monographie/Artistique.

Si dans une soirée mondaine vous demandez aux convives le point commun entre ces trois films : Retour vers le futur, Qui veut la peau de Roger Rabbit ? et Forrest Gump, probablement n’obtiendrez-vous que des haussements de sourcils. Robert Zemeckis est souvent vu (y compris un peu par moi avant que je lise ce bouquin) comme un sous-Spielberg, presque un tâcheron qui singe le style du maître dans des longs-métrages d’une efficacité redoutable, mais pas exempts de conservatisme et de bondieuseries. Tout ceci est à la fois balayé et un peu soutenu par cette passionnante monographie, qui retrace dans un premier temps la carrière de ce cinéaste aussi légendaire que novateur (quoi qu’on en pense par ailleurs), avant d’analyser sa filmographie étonnamment cohérente par le prisme de quelques angles thématiques – notamment celui de l’usage des trucages actoriels, à commencer par la performance capture. Seule l’approche psychanalytique, malheureusement presque inévitable dans les ouvrages d’analyse artistique français, m’a insupporté par moments – heureusement peu nombreux.

Ma note : 8/10.


Comment parler des faits qui ne se sont pas produits ? : essai de Pierre BAYARD (France), publié en 2021 chez Minuit de type Essai/Artistique.

Je suis assez client des textes de Pierre Bayard, qui avait choqué/amusé son monde avec Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? en 2007, sans oublier ses chouettes enquêtes littéraires sur les romans d’Agatha Christie ou de Conan Doyle. Dans sa veine favorite, voici venir un nouvel essai sur « les faits qui ne se sont pas produits ». Si je devais reformuler sa thèse centrale, ça donnerait : « les oeuvres de fiction n’ont pas besoin de s’embarrasser d’exactitude pour être efficaces, elles peuvent entretenir un rapport flou voire même lointain avec le réel, même quand elles prétendent s’en rapprocher. » Et j’ai tout de suite envie de lui répondre : « Mais bon sang Pierre, qui dit le contraire ? » Cent ans après Proust, on commence tout de même à être un peu familier avec le concept d’autofiction, et dans une littérature contemporaine (surtout francophone) obsédée par le fait divers, l’anecdote et le récit de vie, on a eu le loisir de se rendre compte qu’il ne fallait pas confondre réalité et astuces narratives. Sans compter que l’auteur semble redécouvrir, ravi, les concepts fondamentaux de la narratologie, comme la suspension de l’incrédulité ou le couple pulsion narrative/pulsion de croyance au détour d’un paragraphe.

Si toutefois résidait là le seul problème de cet ouvrage, ce serait bien peu de choses, et on rattraperait son plaisir grâce à plein d’anecdotes (que j’ignorais souvent) sur les fariboles racontées par Steinbeck, Anaïs Nin ou Chateaubriand dans leurs oeuvres. Mais dès que Pierre Bayard se risque à sortir de sa zone de confort (littéraire) et met un pied dans la zone océanique de son ignorance en matière d’épistémologie, c’est un naufrage. Le tsunami de la débilité est atteint lors du chapitre central, qui envisage le concept de vérité scientifique avec un relativisme consternant : en gros, le discours scientifique est un récit comme un autre, et peu importe la méthode qu’on emploie, l’important est d’arriver à fabriquer un bel objet intellectuel qui confirme les « intuitions » du « savant ». En l’occurrence Freud, puisque non vous ne rêvez pas : pour illustrer la pertinence de sa démonstration, Pierre Bayard est allé chercher le plus grand escroc de l’histoire des sciences, le fabulateur qui a généralisé ses propres déséquilibres psychiques à l’humanité toute entière, a falsifié ses travaux, et dont les hypothèses farfelues continuent de polluer les analyses de si nombreux demi-habiles (preuve dans cet ouvrage d’ailleurs, évidemment traversé par la psychanalyse de part en part).

C’est super drôle, parce que Bayard décrit dans ce passage l’erreur fondamentale de Freud dans son « analyse » de De Vinci visant à démontrer (faussement) la (prétendue) pertinence de son hypothèse sur la sublimation. Il considère que cette monumentale catastrophe intellectuelle n’est pas grave puisque l’essentiel était de constituer la théorie (fumeuse), quitte à ce qu’elle le soit à partir d’un exemple fallacieux (et anecdotique, au passage). Comble de l’ironie : quelques pages plus loin, sur un tout autre sujet, il nous décrit par le menu les grands dangers du biais de confirmation… qui est précisément celui dans lequel Freud s’est vautré dans cette funeste démonstration, comme d’ailleurs dans tout le reste de sa carrière. En somme, disons que pour faire un livre qui aborde l’épistémologie, c’est peut-être pas mal de se pencher au préalable sur les bases de l’épistémologie.

Ma note : 3/10.


Écrire son premier roman en dix minutes par jour : essai de David MEULEMANS (France), publié en 2021 chez Aux Forges de Vulcain de type Méthode/Artistique.

David Meulemans, le meilleur éditeur du monde – puisqu’il est directeur littéraire des Forges de Vulcain – autopublie une méthode d’écriture, murie par sa thèse en création artistique, son expérience d’animateur en ateliers d’écriture, et bien sûr son expertise de lecteur de manuscrits.

En compagnie du Écriture de Stephen King (qui revêtait toutefois une importante dimension autobiographique) c’est tout simplement la meilleure méthode d’écriture que j’ai jamais lue. Je ne suis pas étonné de souscrire totalement à l’approche de la création littéraire exposée par Meulemans, vu combien j’adore sa maison d’édition. C’est une approche de l’écrivain en tant qu’artisan, et non pas Aaaaaartiste avec une majuscule, réceptacle du « don de l’inspiration » qui peut se permettre de Créer sans technique particulière. Bien au contraire, ce manuel est composé de conseils aussi bien techniques que structurels ou conceptuels qui soulignent le fait que, comme dans n’importe quelle discipline artistique, tout le monde peut apprendre à écrire – simplement pour aller jusqu’au stade du manuscrit, faut-il encore faire preuve de persévérance et de méthode, mais ça aussi ça s’apprend.

J’ai ressenti une petite joie narcissique à la lecture de ce texte, par ailleurs très précis et drôle, émaillé d’exemples tirés à la fois de la culture pop et classique, parce que je me suis rendu compte que je travaillais moi-même à peu près comme Meulemans le préconise. La répétition (il faut écrire tous les jours !), la tension entre le dramatique et le thématique, le mode de création des personnages, l’importance de la cohérence des scènes… Et toutefois, je me suis approprié plein de remarques et conseils intéressants sur des aspects que je délaisse trop, ou dont j’avais une conscience floue et qui se sont éclairés à la lecture de cet essai – par exemple sur le rôle de l’improvisation, une vraie difficulté pour moi qui suis un auteur très « contrôlé ».

Apprenez également que, à quelques détails près, j’ai retrouvé une théorie de la notion de genres qui se rapproche de la mienne, pour une fois. Il faudra vraiment que je me décide à envoyer un manuscrit aux Forges de Vulcain, à l’occasion.

Rejoint mon Top 20 Essais.

Ma note : 9/10.


Comment écrire de la fiction ? : essai de Lionel DAVOUST (France), publié en 2021 chez Argyll de type Méthode/Artistique.

Pour rester dans la même idée que le précédent (ça se voit que je suis dans un gros projet roman ou bien ?), mais moins réussi. Ce qui est satisfaisant, c’est que ces deux auteurs (Meulemans et Davoust), plutôt de la jeune génération et très expérimentés, vont à peu près dans le même sens : l’écriture a une méthode qui s’apparente à de l’artisanat, il y a des codes et des invariants qu’il s’agit de connaître et maîtriser, mais qu’il est nécessaire de dépasser, etc etc. J’ai trouvé particulièrement jouissifs les passages où Davoust fusille le Nouveau Roman. Ce petit livre fourmille de bons conseils, d’exemples bien sentis et d’humour (plus ou moins lourdingue), par contre il est bordélique et bien trop verbeux. Pas déconseillé donc, mais clairement pas aussi structuré, économe et méthodique que le Meulemans.

Ma note : 6/10.


Pourquoi notre cerveau a inventé le bien et le mal ? : essai de Stéphane DEBOVE (France), publié en 2021 chez Humensciences de type Vulgarisation/Scientifique.

Pas grand chose à raconter sur cet excellent livre du créateur de la chaîne Youtube Homo Fabulus (que je recommande bien sûr). C’est une super introduction à la psychologie évolutionniste et à la manière dont on peut aborder la question de la morale à cette aune. Il y a une théorie défendue bien sûr, et même une théorie à deux étages : au premier étage, Stéphane Debove postule une base biologique à la morale (par opposition aux postulats qui se basent sur une morale culturelle ou rationnelle, mais sans toutefois exclure ou écarter ces approches) ; au second étage, il s’engage plus spécifiquement dans la théorie du coût d’opportunité.

J’essaie de résumer très grossièrement : le fondement de nos comportements sociaux, c’est de choisir efficacement nos partenaires de coopération pour maximiser nos chances d’agir dans notre intérêt, mais aussi de faire nous-mêmes la démonstration de notre efficacité en tant que partenaire de coopération (il y a tout un tas d’avantages à ça, conservés par la sélection naturelle). Faire un mauvais choix de partenaire est coûteux, c’est pourquoi on parle de « coût d’opportunité » (opérer un mauvais choix nous coûte les avantages qu’on aurait tirés d’un bon choix). Eh bien en gros, la boussole qui nous guide intuitivement en direction des choix opportuns, et qui s’est développée au fil de la sélection naturelle, c’est la morale (évidemment la morale n’est pas la seule boussole qui guide nos comportements, elle entre en concurrence avec d’autres algorithmes comportementaux que nous avons dans le cerveau).

C’est donc une excellente vulgarisation du sujet, pour lecteurs motivés toutefois.

Ma note : 8/10.

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