« Grave » de Julia Ducournau (film)

Comme tout le monde, je suis intrigué par la Palme d’or attribuée à Julia Ducournau pour Titane, que je n’ai pas encore vu. Je ne manquerai sans doute pas de le découvrir en salles car, poussé par la curiosité, j’ai regardé Grave, son premier film, et je vais devoir employer une expression aussi cliché que parlante : « coup d’essai, coup de maître ».

Justine, toute jeune étudiante un peu candide, intègre une école de vétérinaire, marchant sur les traces de sa grande soeur Alexia, qu’elle rejoint dans l’internat du campus. Les débuts sont difficiles, entre bizutage et découverte des difficultés de la vie étudiante. Comme toute sa famille, Justine est végétarienne, mais parmi les « épreuves » qu’on fait subir aux bizuts, elle se trouve dans l’obligation d’avaler un rein de lapin cru. C’est le début d’une incroyable transformation.

Les hasards des découvertes artistiques vous réservent-ils comme moi des surprises en forme de séries statistiques ? Grave s’inscrit totalement dans une « séquence » qui me parcourt depuis un an, d’oeuvres qui se font écho les unes aux autres sans que j’ai l’impression d’y avoir mis quoi que ce soit de volontaire. Après avoir été bouleversé par Vita Nostra, roman qui raconte la métamorphose d’une étudiante (comme Grave), j’ai découvert les courts textes de Tade Thompson sur Molly Southborne, des body horror dont l’argument horrifique repose sur le rapport violent au corps d’une jeune femme (comme dans Grave). Pour les besoins d’un projet à paraître, j’ai ensuite connu une période qui m’a fait visionner des tonnes de slashers, comme on s’en doute y sont souvent entremêlés le gore et, de manière plus ou moins explicite, la sexualité, notamment des jeunes femmes (comme dans Grave). Enfin, je suis en ce moment fasciné par la série d’anime Beastars, qui prolonge la thématique en mettant en scène des personnages d’animaux anthropomorphes divisés entre carnivores et herbivores : ici le rapport entre bestialité et amour, pulsions sexuelles et pulsions anthropophages, n’est même plus métaphorique, il est exposé et intégré clairement à l’intrigue (comme dans Grave).

Grave n’est pas un film qui cherche à livrer un message clair ou à provoquer une prise de conscience sociologique ou politique. C’est surtout une oeuvre à motifs, à moments, à saisissements, qui veut imprimer sa marque en profondeur, sans négliger pour autant de raconter l’histoire banale d’une intégration au monde des adultes, avec des ellipses bien dosées qui rendent l’intrigue à la fois explicite et parcourue de mystères insondables.

C’est évident que Julia Ducournau compte David Cronenberg parmi ses sources d’inspirations (j’ai notamment beaucoup pensé au Dead Ringers avec Jérémy Irons), surtout le Cronenberg récent, à la fois au niveau du genre/registre, avec ce réalisme borderline qui veut nous faire basculer dans le fantastique sans jamais franchir la ligne de l’effet de réel, et au niveau thématique comme on l’a vu ci-avant. Toutefois, au niveau formel elle a trouvé un style qui lui appartient – et quel style ! L’échelle de plans est encore plus inventive que chez Cronenberg (qui est plus « sage » à ce niveau-là), et il y a des séquences plus « organiques », voir par exemple ce très beau plan-séquence de la teuf au début. Il y a une maîtrise des couleurs, des ambiances et du montage qui impressionnent pour un premier long-métrage. Sans parler de la direction d’acteurs, qui aurait pu saloper tout le travail en rompant l’immersion, mais reste d’une incroyable justesse.

Alors je ne sais pas ce que donnera Titane, mais je subodore que ce sera difficile de faire aussi bien que ça. Il me tarde de pouvoir le vérifier.

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