L’attaque des clones (« Les Meurtres de Molly Southbourne » et « La Survie de Molly Southbourne »)

Les Meurtres de Molly Southbourne : Roman de Tade THOMPSON (Angleterre/Nigéria) édité au Bélial’ en 2019 (2017) de type Body-horror/Fantastique

La Survie de Molly Southbourne : Roman de Tade THOMPSON (Angleterre/Nigéria) édité au Bélial’ en 2020 (2019) de type Horreur/Science-fiction

Bon OK il se passe quoi en ce moment ? Après une décennie 2010 mollassonne les littératures de SFFF sont en train de se réveiller tout soudain ? Ou alors c’est moi qui ai raté des trucs ? En quelques mois, je prends claque sur claque dans des domaines aussi variés que la SF politique, la transfiction noire et maintenant l’horreur gore, tandis que m’attendent dans ma pile à lire des nouveautés de John Crowley et Jeff VanderMeer. Période d’épiphanie littéraire, qui me surprend autant qu’elle me ravit.

Voici donc Les Meurtres de Molly Southborne, un court roman ou une grosse nouvelle de Tade Thompson, un Anglo-Nigérian que je ne connaissais pas du tout, publié dans l’excellente collection « Une heure-lumière » du Bélial’, et dont je vais annoncer d’emblée pour être clair que c’est un des meilleurs textes d’horreur gore que j’ai lus depuis les Stephen King de la grande époque, type Marche ou crève : c’est dire !

La narration démarre par une focalisation sur un personnage enfermé, menotté et torturé par une jeune femme, Molly, qui va finir par lui raconter son histoire : basculement vers un récit rétrospectif, et on est déjà sanglé à notre siège tant cette amorce est captivante. La suite, c’est une magistrale démonstration de body horror sur un postulat aussi simple que génial, de veine très « cronenbergienne » : depuis toute petite, chaque fois qu’elle saigne, Molly engendre des clones d’elle-même, ou plutôt faudrait-il dire des dopplegänger, puisque ces doubles ne cherchent qu’à l’agresser et la tuer. Aussi, elle est élevée par ses parents dans une rigueur martiale avec en ligne de mire l’obsession de la survie.

Le style est époustouflant : récit direct, coupures brutales et ellipses à géométrie variable pour nous amener sans transition aux moments-clé, une succession d’apex épousant tous les registres de la peur, de la violence, de la surprise. Et la double lecture – psychologique bien sûr (Tade Thompson est psychiatre) – amène une dimension passionnante à ce qui constitue déjà un beau texte d’horreur. Les « molly » qu’engendre la Molly primordiale sont autant d’étapes de la vie d’une femme, des « moi » alternatifs que l’on rencontre, affronte et élimine pour se construire en réaction, et le fait qu’elles naissent à partir du fluide sanguin, allégorie limpide des menstruations, souligne ces notions de maturation, d’étapes, de paliers à franchir.

ALERTE SPOILER – ALERTE SPOILER – ALERTE SPOILER

Au moment d’aborder la suite, La Survie de Molly Southbourne, mon sentiment était celui du passage obligé. Venant de prendre mon pied avec le premier épisode, et pouvant disposer très facilement du second, je me sentais obligé de m’y confronter, tout en me préparant à le juger anecdotique. Mais il n’en fut rien ! La Survie reprend précisément là où Les Meurtres s’arrêtent, pourtant il y a des glissements à plusieurs niveaux qui apportent encore des dimensions supplémentaires.

Je suis obligé de révéler un important point d’intrigue pour m’expliquer : le personnage point-de-vue en incipit du premier opus, celui qui était enchaîné et torturé, c’était en fait… elle-même une molly, une copie de la Molly originelle. Et c’est elle qui sera notre protagoniste dans la suite. On bascule alors dans un questionnement sur identité & légitimité, duplication & éthique, bref des thématiques qui nous rapprochent davantage de la science-fiction que du fantastique. Et bien devinez quoi ? Tade Thompson a tout compris à son sujet. Parce que la modalité science-fictive et dystopique, qui demeurait périphérique dans le premier opus, se met à prendre de la place jusqu’à devenir prioritaire.

Tout cela est beau, puissant, bien fait et bien pensé. À mon sens, ça voisine avec le meilleur de Stephen King, Dan Simmons ou Lisa Tuttle, excusez du peu.

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