« Un long voyage » de Claire Duvivier (roman)

Un premier roman d’une autrice française, publié aux Forges de Vulcain (élu meilleur éditeur du monde par un comité composé de moi-même), lauréat de plusieurs prix littéraires, dont le Elbakin du meilleur roman francophone de fantasy, c’est peu dire que Un long voyage me faisait de l’oeil. Je lui ai donc fait remonter ma pile à lire pour me plonger dedans, désireux que j’étais de découvrir un univers original et une plume innovante.

J’y ai trouvé en tout cas un monde subtil, qui peut faire penser à l’époque de l’Europe coloniale, côté colonies. Le narrateur, Liesse, prend l’excuse de raconter des anecdotes autour de Malvine Zélina de Félarasie, gouverneuse impériale d’une grande importance historique, pour mieux dérouler le récit de sa propre vie, débutée par un drame. Issu d’une famille de pêcheurs modestes de l’Archipel, une colonie de l’Empire, il perd son père et est « recueilli » par l’administration où il apprend à lire et écrire, parvenant à devenir le secrétaire personnel de l’aristocratique gouverneuse – ce qui le rend apte à en esquisser la biographie.

La question de l’esclavage est centrale sans jamais être abordée frontalement. C’est avec beaucoup de finesse que Claire Duvivier va tourner autour par l’entremise de son personnage point-de-vue, pour en éclairer toutes les facettes : identité, gratitude, déracinement, syndrome de l’imposteur, etc. Du reste, la finesse reste la grande affaire de ce roman, cohabitant harmonieusement avec la cohérence qui est son autre grande qualité. Sans aucune description chiante, aucun historique fastidieux, aucune carte géographique pour nous situer dans ce monde inventé, nous éprouvons extrêmement bien les lieux, les événements, les institutions et les structures de cet univers.

Un peu moins les personnages je dois dire. Les plus proches du narrateur sont correctement bâtis (à commencer par Malvine elle-même, mais aussi Merle ou Danica, ou encore Etincelle et Chanson, pour n’évoquer que les plus évidents), par contre les personnages secondaires ont du mal à s’incarner, peut-être à cause de la brièveté du récit, peut-être à cause d’un manque de caractérisation. Si l’intention était de les sentir s’étioler comme des détails historiques voués à s’estomper dans l’esprit du protagoniste, c’est réussi, mais ça a quand même gêné ma compréhension à certains moments.

C’est un maigre problème toutefois au regard de la maîtrise du récit. Pour un premier roman, c’est extrêmement cohérent et contrôlé. Le style hyper fluide, le rythme métronomique et l’absence de lourdeur rendent la lecture claire et plaisante.

Le seul truc qui me chifonne vraiment, c’est finalement le point-de-vue adopté. C’est un souci récurrent de ce type de fantasy qu’on pourrait qualifier de « politique » dans le sens de « l’organisation sociale » : la manière dont est agencée cette société fictive est centrale dans l’histoire, on cherche à comprendre comment s’imbriquent les situations et les événements, comme par exemple chez Jaworski ou George Martin.

Comme souvent on reste malheureusement focalisé sur la strate supérieure de la société : ce dont on a l’aperçu concerne la gouvernance, les militaires, les hauts-fonctionnaires, les grands commerçants. On n’adoptera que rarement des regards populaires, à « hauteur du sol » pourrait-on dire, et même quand notre protagoniste connaîtra la pauvreté voire la misère, ce ne sera que sous le prisme de la catastrophe et de la survie, ce qui ne laissera aucune place aux comportements coopératifs ou solidaires. Ainsi le monde semble-t-il entièrement façonné par des hommes ou femmes providentiels, de qui dépendent toutes les bonnes ou mauvaises conséquences sur un peuple passif. Dans un roman qui entend nous faire intégrer un monde traversé par une problématique d’Empire, je trouve regrettable qu’on ait à ce point-là qu’un aperçu impérialiste des choses.

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