« Blacksad » (BD)

Et allez, encore un projet secret ! Je peux le dévoiler officiellement maintenant puisque j’ai rendu mon manuscrit : en fin d’année vous serez heureux de découvrir chez votre libraire préféré un jeu d’enquête/communication dans l’univers de la fabuleuse série de BD Blacksad.

Aaaaah Blacksad… Comment vous dire à quel point je me suis jeté sur ce projet ? Depuis que j’ai découvert le premier tome au début des années 2000, je suis un fan inconditionnel de la saga, qui a été patiemment garnie par ses auteurs Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido de nouveaux opus, d’abord assez rapprochés (2000, 2003, 2005) puis plus occasionnels (2010, 2013), et ce jusqu’à la sortie récente (2021) d’un dernier tome dont je vous reparlerai ci-après.

Blacksad c’est du roman noir hard-boiled à la Dashiel Hammett qui prend place dans le New York des années 1950, mais un New York peuplé… d’animaux anthropomorphes. Et c’est là que tout se joue. Car en effet, les intrigues ne brillent pas par leur originalité. Dès le tome 1, on découvre un détective privé en imper beige, le dénommé John Blacksad, qui enquête sur l’assassinat d’une de ses anciennes conquêtes, l’actrice Natalia Wilford. Interrogatoires dans les bas-fonds, bagarre, pistes à remonter et indices à découvrir, bagarre, on remonte jusqu’à des personnages haut-placés qui se couvrent en corrompant la police, le monde est dégueulasse, course-poursuite et bagarre, mais il y a quand même des lueurs d’humanité, bagarre et balle dans la tête. C’est d’un classicisme absolu. C’est fait exprès.

L’idée est précisément de puiser dans des archétypes sans tomber dans des stéréotypes. Pour cela, l’emploi de chara desin d’animaux anthropomorphes fait office de double sens permanent aux caractères des personnages. OK, Blacksad est un détective privé au passé chargé et au grand sens moral… mais c’est aussi un chat noir. Et l’attribution (certes connotée culturellement) des attributs classiques de l’animal permet de le distinguer, de le singulariser : le chat est souple et agile, il est aussi indépendant et farouche, mais très affectueux quand il est en confiance, et puis n’oublions pas que le chat noir porte la poisse. Le traitement sera le même pour chaque animal, mais aussi pour chaque groupe (les reptiles, les mammifères, les oiseaux, ont des modèles comportementaux spécifiques). Bien sûr, l’exercice implique que l’on frôle régulièrement la caricature et l’essentialisme, mais la modalité est suffisamment fantaisiste pour qu’on ne s’y attarde pas, sur le modèle des contes étiologiques comme les Just so Stories de Rudyard Kipling ou les Métamorphoses d’Ovide.

Mais ce twist serait bien peu de choses si le chara design n’était pas aussi parfait. C’est simple, je pense n’avoir jamais vu d’animaux anthropomorphes aussi beaux que sous le trait et la colorisation de Juanjo Guarnido, dont l’influence disneyenne est à la fois évidente et impeccablement détournée vers davantage de noirceur et de maturité (c’est un ancien de la maison, il a notamment travaillé sur Le Bossu de Notre-Dame, Hercule et Tarzan).

Le découpage est à l’avenant : on est sur de courtes scènes enchaînées en ellipses conséquentes, qui laissent au lecteur une part importante de complémentation sans que ce soit jamais pénible – les récitatifs rétrospectifs constituent une astuce très réussie pour contextualiser l’action tout en donnant du caractère. Les cases sont grandes et larges, elles laissent respirer le dessin et s’exprimer les atmosphères. J’ai beaucoup travaillé sur le tome 1 depuis quelques semaines, je le connais à peu près par coeur case à case, et je peux vous dire que c’est d’une rare maîtrise technique : il n’y a rien à ajouter et rien à retirer. Si on recherche un moment précis du récit, on le retrouve instantanément tant l’enchaînement est limpide.

Il faut maintenant que je dise une petite chose désagréable sur la série : elle s’étiole au fil des ans. Le premier tome est presque parfait ; les deux suivants toujours excellents. Les tomes 4 et 5 sont loin d’être mauvais, juste un peu moins marquants. Par contre il y a un gros souci avec le 6 sorti récemment. J’avoue ne pas bien comprendre, parfois, pourquoi on s’acharne à vouloir changer une recette géniale. Si on n’a plus d’idées, on s’arrête voilà tout. Là ils ont voulu relancer la machine, et c’est pas bon. La pagination est bien trop énorme pour un type de scénario aussi simple (des 48 pages habituelles on est passé à 60, et ce n’est que la première partie d’un diptyque). L’intrigue se dilue, on n’identifie pas bien les personnages et la réalisation est trop lisse. C’était visible dès la couverture, étonnamment banale et détonnant avec les habitudes de la série. Bref, si vous découvrez, concentrez-vous sur les premiers tomes.

Un commentaire sur “« Blacksad » (BD)

Laisser un commentaire