« Sex Education » (série télé)

Je n’en connaissais rien, je n’en attendais rien, et c’est une des meilleures séries que j’ai pu voir cette année. L’idée générale est de parler frontalement d’éducation sexuelle (voilà du coup un titre bien trouvé !) dans un lycée anglais un peu déjanté, avec de l’humour, du drame, et une profusion de personnages attachants. Le déclencheur est la création par Otis, petit intello fils d’une sexologue de renom, et Maeve, la paria solitaire-mais-brillante, d’un cabinet de sexologie clandestin qui vient combler un besoin des adolescents : répondre aux innombrables questions qu’ils se posent sur la sexualité et l’étendue de ses pratiques et approches.

C’est peu dire que la série entend saisir son sujet : un panorama très complet des problématiques sexuelles va être décliné par l’intermédiaire des personnages lycéens qui se croisent, se heurtent et se mélangent dans une logique chorale. Même si le duo Otis-Maeve restera d’un bout à l’autre le moteur de l’intrigue, son importance va être progressivement concurrencée par les histoires aussi diverses qu’inattendues produites par la galerie des personnages secondaires, dont certains finiront par occuper un espace presque plus important que le fil principal.

D’un point de vue « pédagogique », j’ai trouvé l’écriture assez irréprochable : toutes les pratiques sexuelles sont abordées avec douceur mais sans angélisme. La rudesse des regards adverses, notamment adultes, pourra se révéler violente par moments, mais systématiquement c’est la verbalisation qui déclenchera la chaîne causale de la normalisation et de la banalisation. Très vite, les pratiques queer les plus connues (homosexualité masculine et féminine au premier chef) seront tellement intégrées aux comportements des personnages que la nécessité de les questionner ne se fera même plus sentir (sans même parler du sujet des origines ethniques, brillamment évacué en ce qu’il ne provoque même pas le début d’une remarque). L’attention se recentrera alors sur les particularités individuelles (tabous, blocages, fétichismes, etc.), et l’angle d’attaque systématique sera celui de leur juste expression en vue de leur épanouissement et leur acceptation, ce qui tend à les universaliser. « A chacun son paysage sexuel », en somme, et le plaisir (partagé) au centre de tout. Du reste, la résolution des tabous conduira des personnages au départ très accessoires à être approfondis, gagner de l’importance et finalement intégrer un cercle toujours plus large de personnalités émouvantes et complexes.

Les personnages sont d’ailleurs la grande réussite de la série. Je les ai tous aimés d’amour, très sincèrement, surtout les ados mais même certains adultes. Ils sont certes des fonctions, ils servent à représenter chacun un sujet sexuel (parfois plusieurs qui vont se succéder tout au long de la série), mais pour autant leur vie sexuelle est toujours étroitement entrelacée avec leurs problématiques banales de lycéens : réussite scolaire, premières amours, soucis familiaux, passions, amitiés. Ils sont vraiment géniaux, bien écrits et pour la plupart merveilleusement joués (Ncuti Gatwa par exemple, qui joue Eric, crève l’écran dans tous les registres).

Forcément, la faiblesse d’écriture à surveiller constamment est la suivante : puisqu’on concentre tout le prisme des pratiques sexuelles dans un groupe finalement restreint d’élèves (et adultes), il faut respecter un certain dosage d’excentricité pour que la justesse des rapports de force entre les personnages reste cohérente. A mon sens, on accepte à peu près les situations sur les deux premières saisons, un peu moins sur la troisième. On va alors un chouille trop loin, des scènes vraiment trop démonstratives débarquent régulièrement, la cohérence souffre et la suspension d’incrédulité avec. Il s’est passé un moment dans cette saison où je me suis mis à ne plus croire à ce lycée foutraque, à cause d’une accumulation de petites choses, de détails, un scénario qui sait un peu moins où il va et qui souffre sans doute de ne plus être structuré autour des consultations d’Otis. J’ai appris récemment qu’une quatrième saison est en tournage, je pense que c’est une mauvaise idée : la conclusion de la saison 3 est satisfaisante, et j’ai peur que les grains dans l’engrenage ne deviennent de gros cailloux.

Ce qui aide toutefois à créer l’unité de la série et le plaisir qu’elle dégage, c’est la qualité incroyable de sa réalisation. Il y a une vraie réflexion sur les ambiances, l’échelle de plans et surtout le rythme du montage, merveilleusement structuré autour des musiques qui résonnent tout le temps avec la scène, parfois de manière très drôle. Plein de fois, on va avoir des scènes bien pensées, lors desquelles un dialogue qui s’achève entre deux personnages ne se termine pas par un cut tout bête, mais par un mouvement de caméra qui vient happer l’amorce d’une nouvelle conversation, déplacée vers un autre lieu. On est d’ailleurs toujours en mouvement, il y a très peu de scènes fixes, quand il y en a ce sont en général des moments conflictuels et il y a toujours des idées pour les dynamiser*.

*petit exemple de choix de cadrage qui n’a l’air de rien mais qui fait sens, utilisé pendant toute la série. Souvent, lors d’une scène avec un enjeu conflictuel, on va trouver un personnage cadré de la manière suivante :

là le réalisateur joue avec la règle dite des « un tiers/deux tiers ». C’est une convention de cinéma (et au départ de photo) qui dit que pour donner de l’importance au sujet dans un cadre, c’est parfois plus efficace de le décaler plutôt que le centrer, et en général on le décale en le plaçant vers le premier tiers de l’image, pour laisser du champ « vide » (en fait occupé par le décor) devant lui, côté regard. Ca donne à l’image une respiration, une ligne de fuite, qui renforce son impact. Mais si on s’amuse à décaler le personnage non plus au niveau du premier mais du troisième tiers, sa « face active » (le champ qu’il est censé balayer du regard, et qu’on serait enclin à regarder en même temps que lui) est barrée par le bord du cadre qui survient trop près pour que ce soit naturel. Concrètement c’est pas très intéressant de contempler la haie derrière Otis. Mais c’est une manière comme une autre de placer le personnage dans l’inconfort, le doute ou le conflit. Ce genre de petits choix de cadres subtils est permanent dans la série.

Rejoint mon Top 20 Séries (en 20e position).

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