Les shonen de mon enfance (Saint Seiya ; Kenshin ; Ranma 1/2 ; Dragon Ball)

Ces dernières semaines, je me suis enfin pris en main pour commander les tomes manquants de mes séries shonen inachevées, et c’était l’occasion de les relire – au moins partiellement. Jetons un regard froid et dépassionné sur ces oeuvres de notre enfance (oui d’accord c’est impossible), et voyons ce qu’il en ressort.

Saint-Seiya

Évacuons d’emblée le sujet qui va m’attirer les foudres de mes plus proches amis (coucou Mika). Saint-Seiya c’est dur. Très très dur. À se demander ce qui a pu provoquer autant d’adoration et de déclinaisons – en effet le succès est indéniable, et à mon sens le succès ne peux pas tomber du ciel, il y a forcément des raisons.

Simplement ces raisons ne résident pas dans le manga d’origine, ou alors à l’état de prémisses. L’idée générale d’un groupe de héros placés sous la protection de figures mythologiques a du potentiel. Matérialiser ces figures sous la forme d’armures aux visuels élaborés fonctionne très bien. La panoplie de pouvoirs spécifiques à chaque héros, ainsi qu’à leurs innombrables antagonistes, permet de multiplier les poses classieuses aux arrière-plans travaillés. Bref, au niveau du concept, on comprend ce qui suscite l’enthousiasme. Au niveau de la réalisation par contre, il faut vraiment être dans le déni pour ne pas s’avouer quelle catastrophe on est en train de lire.

Le dessin de Masami Kurumada est une vaste blague qui scandaliserait n’importe quel étudiant en première année d’arts graphiques. Les proportions des corps, les expressions monolithiques des visages, la rigidité des postures (c’est quand même paradoxal pour un manga de baston que les mouvements soient si pauvres et figés, et remplacés par des poses dès que c’est possible), sont d’un niveau presque risible. Reconnaissons qu’il y a du boulot sur les décors et les arrière-plans, par exemple lors des lancements de pouvoirs (fréquents, heureusement). Mais ça ne compense pas un character design frustrant, qui oscille entre de bonnes idées et beaucoup de répétitivité (énormément d’antagonistes se ressemblent voire se confondent), sans compter les relâchements coupables sur les design des armures, souvent grossièrement esquissées en blocs trop géométriques.

Mais si le problème ne résidait que dans ces maladresses, je pardonnerais beaucoup à cette saga plutôt originale. Toutefois le volet narratif est encore pire que le volet graphique. Le manque de profondeur du scénario n’a pas besoin d’être beaucoup creusé, tout le monde est au courant, mais à la relecture j’ai été plus encore sidéré par son manque de matière. On se moque depuis des décennies de ces arcs copiés-collés sur celui du Sanctuaire (Poséidon et Hadès c’est rigoureusement le même schéma), mais ce que je trouve encore plus rédhibitoire, c’est à quel point il ne se passe rien entre deux arcs ou à l’intérieur des arcs entre deux affrontements. C’est quand même stupéfiant à quel point Saint Seiya ne raconte rien, n’approfondit jamais ses personnages ou ses situations. Heureusement que les protagonistes secondaires (Shun + Ikki, Shiryu et Hyoga) ont leurs petits enjeux personnels, mais ils sont expédiés et servent exclusivement à justifier comment ils trouvent les ressources pour éliminer des adversaires supposés les balayer en trois coups. Je jetterai un voile pudique sur le manque d’inventivité des dénouements lorsque les personnages sont dans une situation inextricable (c’est à dire à chaque chapitre). J’avoue avoir eu de la peine à me forcer pour terminer l’arc Hadès, aussi terrassé par la médiocrité que l’auteur par la fatigue.

Alors à quoi tient le succès de Saint Seiya, et son aura à part dans nos coeurs nostalgiques ? En plus de l’élement principal développé ci-avant (en gros : le concept a du potentiel), je pense que l’explication la plus rationnelle tient à une chose et une seule : la série télé. Il faut savoir que Shingo Araki et sa compagne Michi Himeno, fondateurs du studio Jaguar, sont à votre insu les principaux responsables de votre adoration pour l’animation japonaise. Attendez voir, je vous fait une petite liste des dessins animés dont Araki a été directeur de l’animation ou lead character designer : Goldorak, Ulysses 31, Lady Oscar, Lupin III, Albator, Cat’s Eyes, Inspecteur Gadget… je continue ou ça suffit ?

On considère généralement que l’adaptation de Saint Seiya est l’oeuvre maîtresse de Shingo Araki : à partir d’un matériau prometteur mais atrocement réalisé, il a produit un petit bijou d’animation et d’effets de lumières spectaculaires, redessiné les armures pour les rendre beaucoup plus réalistes et fines, et le tout a été colorisé à la perfection. Ajoutez à ça un opening inoubliable et le fait qu’on ait essentiellement fait que voir et revoir l’arc le plus « réglo », celui du Sanctuaire, et le plus original, celui d’Asgard (absent du manga d’ailleurs…) vous obtenez une chouette série animée qui parvient à faire oublier les scories de l’oeuvre originale grâce à son visuel emballant.

Kenshin le Vagabond

En fait il aurait fallu traduire « Kenshin le rônin », c’est à dire le samouraï errant. Kenshin Himura est un ancien guerrier, devenu vagabond depuis l’instauration de l’ère Meiji (on est en 1878). C’est un des plus fins bretteurs du pays, mais hanté par son passé il refuse de tuer qui que ce soit, et pour défendre les plus faibles il combat avec un sabre à lame inversé. Manque de bol, le dojo Kamiya dans lequel il trouve refuge, dirigé par la jeune Kaoru, se retrouve au centre d’innombrables problèmes, et Kenshin doit s’employer à protéger son nouveau groupe d’amis.

La contextualisation historique, à défaut d’être rigoureuse, a le mérite de donner un effet de réel qui fonctionne bien et ajoute de la dramaturgie. De toute façon, l’essentiel du talent de l’auteur Nobuhiro Watsuki s’exprimera davantage dans les affrontements. La mise en scène et le découpage des combats sont dynamiques et fluides, avec des beaux effets de suspension de l’action pour créer de la tension à partir de mouvements exécutés en une seconde de « temps réel ».

Comme souvent, le plus gros écueil de cette belle série, c’est qu’elle tire en longueur. Le modèle économique du Jump a cette tendance à allonger inutilement des intrigues qui ne demandent qu’à se conclure plus vite. De surcroît, l’épuisement de l’auteur sur le long terme le pousse à s’enfermer dans le carcan du shonen nekketsu, par fatigue, par commodité, ou parce que le rapport de force avec l’éditeur est trop exigeant. Ainsi apparaissent les répétitions, incohérences et pirouettes scénaristiques.

Kenshin s’en tire grâce à la qualité de sa réalisation, mais on ne va pas se mentir son dernier quart est faible. Le dernier groupe d’antagonistes est une redite à peu près complète de groupes précédents, Watsuki n’a plus d’idées de character design et recycle des design préexistants, les combats deviennents schématiques et expédiés, et on perd la matière des relations entre les personnages principaux. Heureusement qu’on s’est beaucoup attachés à eux auparavant : Kaoru, Yahiko et Sanosuke notamment, sont suffisamment approfondis et travaillés, et l’auteur n’hésite pas à leur consacrer des chapitres individuels qui racontent leur passé ou leurs aventures annexes.

Quant au personnage-titre, il est vraiment très beau. Fort, mais entièrement consacré à la défense contre les nuisibles ; sage, mais jamais moralisateur ; drôle et attachant, mais pas sirupeux. Porteur d’un lourd passé, il symbolise son époque, cette transition encore imparfaite entre un temps de guerre où règne la loi du plus fort, et une nouvelle ère où la société s’institutionalise, mais doit subir les assauts de dominants ambitieux qui veulent s’y tailler des situations de pouvoir.

Ranma 1/2

J’abandonne ici tout simulacre d’objectivité, car Ranma est mon manga-chouchou, et Rumiko Takahashi une de mes mangaka préférées (Maison Ikkoku, a.k.a Juliette je t’aime, et Lamu, sont excellents aussi). C’est le manga qui me fait le plus rire, le shonen avec les personnages les plus attachants, et la relation entre Ranma et Akane est une de mes romances de fiction préférées, tous supports confondus.

C’est qu’en effet Ranma mélange beaucoup de choses : suivant la mode des années 1980-90, Takahashi a mélangé de la baston d’arts martiaux avec du fantastique nonsense et la touche de comédie romantique qui avait déjà fait sa renommée (notamment dans Maison Ikkoku). Le mélange aurait pu se révéler indigeste, mais tout cela cohabite avec bonheur, et se permet même des incursions fréquentes dans des sujets de société, surtout autout du sexisme et de la place de la femme au Japon.

En effet, lorsque Ranma, un jeune génie des arts martiaux, débarque un beau jour au dojo Tendo (à Tokyo), c’est pour apprendre qu’il a été fiancé « par arrangement » avec la plus jeune fille du meilleur ami de son père, la farouche et colérique Akane Tendo. Mais loin de se plier aux exigences de leurs paternels, les deux ados vont développer une relation complexe, aux points d’accointance évidents, puisque tous les deux rejettent le patriarcat et trouvent leur accomplissement dans leur pratique du combat, et de dissension, puisque leurs deux personnalités très affirmées semblent les rendre incompatibles. Et pourtant, par petites touches délicates, on voit bien, très progressivement dans cette série par ailleurs assez longues, que les sentiments s’installent et s’approfondissent.

Je l’ai dit, je trouve cette histoire d’amour très belle, jamais niaise ni démonstrative, avare en moments d’émotion qui n’en seront que plus intenses. Et pourtant, c’est peu dire que Takahashi fait mettre à ses personnages les pieds dans le plat : en effet, en affublant Ranma d’une malédiction qui le transforme en fille à chacun de ses contacts avec l’eau froide, elle le met à la fois dans des situations hyper érotisées, avec une allusion frontale à la sexualité, tout en gardant une immense pudeur dans ce qui compte vraiment – à savoir l’ambiguité des sentiments.

Les transformations de Ranma, mais aussi celles des autres personnages (son père Genma, son rival Ryoga, sa prétendante Shampoo, et une foule d’antagonistes secondaires), donnent aussi l’occasion à des barres de rire burlesque, à base de quiproquos et de running gags innombrables. Les disputes de Ranma et son père, les révélations sur le passé de Genma et Soun, souvent en lien avec leur maître pervers Happosai, la maladresse et le sens de l’orientation déplorable de Ryoga, les stratagèmes de Shampoo, tout cela se combine dans tous les sens et nous installe dans un clin d’oeil permanent bourré de détails amusants. Il y a aussi plein d’utilisations de la culture japonaise, et parfois de la mythologie chinoise, pour fournir de la matière aux intrigues, ce qui installe la série dans une temporalité bizarre.

Organisée en épisodes presque auto-conclusifs qui, la plupart du temps, ne font pas avancer d’un iota la narration globale, la série pourrait se révéler hyper répétitive avec un tel contenu, et honnêtement il y a des périodes plus inspirées que d’autres, mais Takahashi trouve toujours des idées absurdes pour relancer l’attention, replacer un gag déjà lu mille fois dans une nouvelle situation, créer un personnage encore plus improbable que le précédent.

Profitez vraiment de la réédition en cours, retraduite et non censurée.

Dragon Ball

Je ne vais pas faire long sur le plus mythique manga de mon enfance, pierre angulaire sur laquelle reposent d’une manière ou d’une autre tous les shonen modernes. J’aimerais juste expliquer aux détracteurs, qui n’y voient qu’une suite absurde de combats sans intérêt, pourquoi c’est génial.

Évacuons d’emblée les défauts évidents : bien sûr, Toriyama n’est pas le dessinateur le plus fin du monde au niveau des détails, des textures, des expressions (on est bien d’accord, ce n’est ni Kentaro Miura ni Jiro Taniguchi). Bien sûr, il y a des incohérences scénaristiques rattrapées au forceps et des chapitres écrits du jour au lendemain, parce que le modèle économique était intenable, les enjeux financiers énormes et la pression des éditeurs constante. Bien sûr, il n’y a pas une grande profondeur ni des considérations très fines (encore que…). C’est un manga de baston qui se préoccupe essentiellement de baston.

Mais laissez-moi vous mettre sous le regard deux ou trois petites choses. D’abord, Toriyama est un character designer de génie. Le meilleur. En quelques caractéristiques physiques et mentales, il taille un personnage et lui trouve l’apparence qui colle à l’exacte. Il sait lui donner un aspect inoubliable, sans jamais verser dans la surenchère de couleurs, d’accessoires ou de déformations que le shonen moderne se voit obligé de cumuler pour faire oublier à quel point ses personnages sont fades et se ressemblent tous.

Ensuite, Toriyama est un metteur en scène de l’affrontement physique comme on en a rarement connu. Dans le registre de la fluidité des mouvements, la lisibilité des déplacements, la spatialisation des corps, c’est un crack, c’est le meilleur. Pourtant ses découpages ne sont pas spectaculaires, ni particulièrement inventifs, c’est juste qu’il sait employer les bonnes cases au bon moment, avec une acuité terrible.

Enfin, malgré les écueils scénaristiques relevés ci-avant, Toriyama est un excellent narrateur dans la rubrique « trouvailles ». Tenaillé par le temps, la fatigue, par des exigences éditoriales toujours plus fortes, il a toujours su trouver des astuces et motifs pour nous surprendre, sous la forme de pouvoirs, de retournements de situation, de transformations des personnages : le kamehameha, la salle de l’esprit et du temps, le chemin du serpent, la mini-planète de Kaio, les nameks, la machine à voyager dans le temps de Trunks, les cyborgs, la fusion, et bien sûr la transformation en super saiyen, sont restés autant d’idées inoubliables.

Évidemment, on pourra avoir un petit regret : que l’aspect « Aventure » du premier tiers de la série ait été un peu abandonné en route. À partir de l’arc Namek, la logique « power up » allait accoucher d’une série de combats, parfois trop longs, et dont les intrigues manquent de matière. Dommage que ce soit sur cette base-là qu’aient poursuivi les suites contemporaines (OAV et Dragon Ball Super) qui sont pour moi irregardables.

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