« Le Discours de la panthère » de Jérémie Moreau (BD)

Parmi les jeunes génies de la BD francophones, plus encore qu’un Bastien Vivès (hyper fort mais pas très profond, et parfois trop transgressif pour son propre intérêt) ou un Mathieu Bablet (pour moi, surcoté), je pense que mon préféré est Jérémie Moreau, dont je ne me lasse pas de découvrir les nouveautés, en renouvellement constant tout en gardant une patte reconnaissable.

Je l’avais découvert avec l’excellent Singe de Hartlepool (Lupano au scénario), puis la consécration arriva avec son Fauve d’or mérité pour La Saga de Grimr. Le Discours de la panthère, sorti l’an dernier, amorce un nouveau virage : voici un conte animalier, qui n’est pas sans évoquer les Histoires comme ça de Kipling (dont je suis un ultra-fan).

Du conte, il conserve le sous-texte philosophique, et bien sûr les personnages d’animaux parlants, mais la tonalité diffère subtilement : par l’entremise d’historiettes croisées, chacune centrée sur un animal, Moreau fait varier les registres (comédie, romance, drame, aventure…) tout en conservant un même angle d’attaque, celui de de la condition animale et ce qu’elle a à la fois de commun et de différent avec la condition humaine.

Un étourneau est tiraillé entre sa peur de quitter la nuée et son désir d’aventure ; un varan refuse aux vautours le droit de dévorer son compagnon buffle ; une autruche a honte de sa laideur car elle se contemple dans un reflet déformé ; un enfant d’éléphant (référence nette à Kipling) craint de ne pas être à la hauteur de la conservation de la mémoire de ses ancêtres. Bref, ce sont des histoires d’animaux, mais la « conscience » est là, en creux, sans arrêt suggérée à l’état de prémisse, et symptomatiquement dans l’ultime volet, malgré le discours de l’animal le plus sage (« sophia », la panthère), c’est un singe qui décidera de refuser le cycle naturel de la putréfaction en perdant sa mère.

Moreau se garde de trancher en terme moral, ce qui fait aussi la force de sa démonstration : à nous de juger si, agissant ainsi, le singe s’illusionne en posant le premier jalon de son hominisation, ou si cette révolution cognitive était inévitable.

Propos intéressant, character design exceptionnel, colorisation splendide et limpide, découpage précis, expérimentation formelle juste ce qu’il faut, bon on tient notre BD de l’année ?

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