« Avatar, le dernier maître de l’air », une série élémentaire

Avatar, le dernier maître de l’air : Série télé de Michael DI MARTINO et Bryan KONIETZKO (USA) produit par Nickelodeon de 2005 à 2008 de type Aventure/Fantasy

Pour les deux du fond qui n’auraient pas suivi, petit rappel sur le pitch de ce monument de la série jeunesse, parmi mes préférées de tous les temps, dont la méconnaissance équivaut à une inculture crasse doublée d’un retard de kharma d’au moins trois réincarnations.

Un frère et une soeur du pôle Sud découvrent dans un iceberg un jeune garçon prisonnier de la glace depuis une centaine d’années : il se trouve qu’il est une des incarnations de l’Avatar, un héros surpuissant qui apparaît à chaque génération pour garantir l’équilibre du monde. Cela tombe à pic, puisque le monde est en guerre, dominé par la toute puissante nation du Feu.

Donc, nous sommes dans un univers très particulier, composé de quatre « ethnies » correspondant chacune à un élément (eau, terre, air, feu). C’est un monde de fantasy particulièrement ramassé, exigu, dont on fait le tour en quelques jours à dos de bison volant ; un monde qui peut évoquer une Asie médiévale tardive, agrémentée de quelques technologies pouvant aller jusqu’à notre XIXe siècle ; mais un monde dans lequel existe une forme de magie, qui tient en fait davantage de la maîtrise physico-chimique : un nombre restreint d’individus de chaque nation est capable de diriger, de manière télékinétique, l’élément correspondant à son peuple.

En prenant une vue d’ensemble de toutes ces caractéristiques, et en remarquant une certaine typologie des cultures et physionomies, on comprend bien vite que le monde d’Avatar est une pure allégorie : les nomades de l’Air, peu nombreux et habitant des temples perchés, font penser aux moins tibétains ; les habitants du royaume de la Terre, très nombreux et travaillant dans d’immenses cités, aux Chinois ; les tribus de l’Eau qui vivent aux pôles de manière plus traditionnelles évoquent les Inuits ; enfin, les fiers guerriers du feu qui peuplent des îles volcaniques représentent l’impérialisme japonais et son extrême hiérarchisation. Cette impression sera corroborée par les différents styles de combat qu’on va trouver lors des nombreuses scènes d’action de la série : tai-chi pour l’Eau, kung-fu pour le Feu, etc.

C’est donc un monde inventé et à la fois curieusement familier qui est dépeint, composé de paysages aussi variés que sa flore et sa faune, construite à partir d’hybridations follement réjouissantes (taupes-blaireaux, moutons-koala, élans-lions, etc.), ce qui entre totalement dans la logique du worldbuilding, tout entier constitué de mélanges et de greffes. Si j’insiste autant sur la création de l’univers, c’est qu’elle est une des grandes sources d’accroche à la série. Comme on a, de surcroît, une conscience aigüe de la longue histoire qui a précédé celle de Aang et ses potes (par l’intermédiaire de ses précédentes incarnations), on a la sensation d’un bac à sable dont l’histoire et la géographie sont précises et maîtrisées, et dans lequel on pourrait s’attarder dans quantité d’autres histoires (c’est du reste ce qui a poussé à la création de la « suite », La Légende de Korra, que je n’ai pas du tout aimé).

Mais un bon univers, un bon lore comme on dit, ne suffit pas à faire une bonne fiction. Toutefois pas d’inquiétude : l’aspect narratif d’Avatar est parfait en tous points. Le déroulé de l’intrigue est à la fois classique, limite nekketsu (récit initiatique, péripéties, enjeu planétaire, apprentissage progressif de pouvoirs…) et parcouru de touches d’originalité, d’humour, de références : chaque épisode fait avancer l’histoire, mais comporte aussi sa thématique, avec sa petite leçon de philosophie, parfois un peu « légère » mais souvent inspirée, et son emprunt à des genres de la culture pop : on a ainsi un épisode western, un épisode horreur, un épisode jidai geki (et même jusqu’à un épisode « méta » savoureux, qui met en scène les propres aventures des héros dans une pièce de théâtre qui les caricature !).

Les personnages, des plus importants aux plus secondaires, sont tous attachants, profonds et décalés, à parfaite équidistance entre archétypes et originalité. Aang est un héros anti-viriliste, aussi maladroit qu’angoissé, ce qui ne l’empêche pas d’être déterminé quand il faut, désinvolte quand il faut. Et que dire de cette galerie de portraits inoubliables, aux character designs très soignés : Sokka, Toph, Zuko, sans oublier mon chouchou l’oncle Hiro. Notons également la répartition des rôles masculins et féminins, qui est un modèle d’évitement des stéréotypes : si le gros méchant est sempiternellement un homme, l’antagoniste à laquelle on sera confronté la plupart du temps reste Azula, une adolescente complexe et torturée dont la méfiance maladive se transformera sur la fin en paranoïa.

ALERTE SPOILER

La fin est d’ailleurs une des plus réussies que j’ai jamais vu dans ce format d’aventures de fantasy type « shonen nekketsu » : Aang apprend à maîtriser les quatre éléments pour se confronter au seigneur du feu Osai, et il parvient miraculeusement à maîtriser l’état d’Avatar, ce qui devrait lui permettre de le balayer sans problème. Mais il est préoccupé par un cas de conscience : élevé par des nomades de l’Air pacifistes, il ne peut se résoudre à tuer un être humain, tout ennemi qu’il soit. Avec l’aide d’une créatures ancestrale – une tortue-lion immense – il apprend comment agir autrement que par la violence : il prive le seigneur du feu de son pouvoir et de sa force, ainsi au lieu de le vaincre il choisit plutôt de l’empêcher de nuire. Belle conclusion philosophique pour cette immense série.

FIN DE L’ALERTE : REPRENEZ UNE LECTURE NORMALE

Alors bien sûr, je sens venir des réticences auprès des quelques fortes têtes qui ne seraient pas convaincues. Oui, c’est une série orientée jeunesse/ado. Si vous jetez un coup d’oeil superficiel sur la saison 1, peut-être aurez-vous l’impression que c’est niais et calibré : n’en croyez rien, regardez quelques épisodes, et laissez-vous emporter par le flot crescendo de la gravité des situations et des enjeux profonds qui vont se développer dans les deux saisons suivantes. La série n’est ni trop longue ni trop courte, elle comporte une soixantaine d’épisodes, dont aucun n’est à jeter – même si bien sûr, certains sont plus spectaculaires que d’autres. À la fin, vous aurez brassé un nombre de thèmes impressionnants, traités avec finesse : science et croyance, géopolitique de la guerre, réfugiés et natifs, tradition contre modernité, famille et confiance, nature et industrie, travail et responsabilités… Il y a une critique que je peux entendre, c’est l’aspect visuel qui n’est pas toujours follement réussi. Mais c’est bien peu de choses à supporter pour tant de bonheur à découvrir.

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