« Cyberpunk 2077 » (jeu vidéo)

Fidèle à ma stratégie avec les triple A – les blockbuster du jeu vidéo – j’ai patienté, mais je savais que j’y viendrais un jour ou l’autre tant j’adore le cyberpunk. Un an et demi d’attente, récompensée par une belle solde (moitié prix) et surtout plein de patchs qui rendent le jeu moins vérolé et plus jouable.

Je n’ose imaginer ce que ça pouvait être à la sortie, parce qu’il reste un paquet de tares, notamment visuelles, disséminées partout. Evacuons donc ce sujet d’emblée : oui, Cyberpunk 2077 pue le jeu mal fini sorti trop vite et dans la souffrance. Même après un an et demi de correctifs. Les bagnoles font n’importe quoi, elles explosent soudainement, s’enfoncent dans le sol, réagissent absurdement aux obstacles. Les comportements des habitants sont souvent étranges, ils apparaissent et disparaissent dans le décor, se retrouvent dupliqués à quelques mètres d’intervalle. Des objets flottent dans l’air. La physique de l’eau est catastrophique et peut vous paralyser. Les IA des ennemis sont moins pires que je l’imaginais, mais elles semblent parfois incapables de franchir une porte en plein combat, ou au contraire vous repèrent malgré votre discrétion à l’autre bout d’un bâtiment. Bref, tout ce qu’on dit de Cyberpunk depuis sa sortie est vrai. Et j’ajouterai que c’est un drame, parce que ça vient mettre à mal ce qui est pourtant l’incontestable point fort du jeu : son immersion.

Voilà qui est paradoxal. Night City, que vous arpentez en open world et en vue à la première personne (j’y reviendrai) est sans doute le décor urbain le plus fantastique que j’ai exploré de ma vie dans un jeu vidéo. Cette ville, bon sang cette ville ! Ses quartiers organiquement entrelacés, son esthétique punk très marquée aux millions de détails, sa périphérie faite de badlands sauvages, de champs d’éoliennes rouillées, de déchèteries géantes à ciel ouvert, tout concourt à vous inclure dans un microcosme incroyablement cohérent, magnifique, pas le moins du monde générique. Si vous vous amusez à explorer le moindre boui-boui de la moindre ruelle sordide, vous le sentirez vivre sous vos yeux : les affiches, les tags, les objets (quand ils ne flottent pas), le mobilier, tout a une histoire qu’on pourrait s’amuser à inventer, chaque lieu a son registre esthétique, mais aussi sociologique et urbanistique. C’est incroyable. Et tout aussi effarant à quel point ça peut être ruiné par les bugs.

En effet, la suspension d’incrédulité fait des allers-retours permanents et douloureux entre la sensation de réel que procure la ville et l’incohérence technique de ses habitants (et de ses voitures). Night City en tant que décor fonctionne, mais la « vie » qui y a été introduite ne fonctionne pas, ou du moins trop peu souvent pour que la magie opère totalement. Tous les problèmes que j’ai relevés plus haut font que, régulièrement, mes phases d’émerveillement, pendant lesquelles je pouvais passer de longues minutes à observer la ville à la faveur d’un éclairage intéressant ou d’un angle de vue original, étaient ponctuellement balayées par des rappels brutaux aux contingences techniques. Quel dommage !

Je ne voudrais pas donner l’impression que ce décalage a gâché mon expérience de jeu. J’ai passé 70 heures sur Cyberpunk 2077 alors qu’une trentaine doivent suffire à le boucler. Je l’ai séché d’un bout à l’autre. Malgré les bugs. Et malgré les phases d’action, totalement inintéressantes au début, puis un peu plus rigolotes quand on s’engage sur une voie de hacker (faire exploser les grenades des adversaires à distance, c’est tout de même un grand bonheur). Parce qu’en fait, comme dans tous les bons open worlds, ce qui fait la différence dans Cyberpunk c’est sa dimension narrative.

Vous créez l’apparence de votre personnage de A à Z, grâce à un éditeur assez puissant (ma meuf à cheveux bleus déchire tout tu peux pas test). Au passage, encore un regret : dommage qu’on ne voie finalement presque jamais notre avatar, alors qu’on prend soin de le customiser. Une petite vue à la troisième personne pendant les passages dialogués, comme dans les Mass Effect, aurait été sympathique, d’autant plus qu’il y a un vrai effort sur la mise en scène et les doublages (même les doublages français à certains égards). Mais enfin, ne boudons pas notre plaisir : une fois votre personnage défini, vous êtes lancé.e dans une chouette histoire typiquement cyberpunk, et sur le plan narratif c’est vraiment génial.

Je développe : d’abord la trame centrale est excellente, digne d’un bon roman, avec des fils qui s’entrelacent et se complexifient (peut-être même un peu trop) et des personnages qui ont de la gueule. Au premier rang desquels Johnny Silverhand, joué par Keanu Reeves, un ex-rocker anar mort cinquante ans auparavant et dont la personnalité est engrammée dans le cerveau de votre avatar, pour des raisons que je vous laisse découvrir. Je n’y croyais pas trop au début, mais ça fonctionne vraiment bien : visible par vous seul, Johnny intervient au milieu des quêtes, même peu importantes, et donne son avis, livre des informations, se lance dans des monologues marrants ou parfois profonds. C’est très réussi car bien écrit.

Par ailleurs, une constante dans les dizaines de quêtes annexes disséminées dans toute la ville, voire dans les missions ponctuelles que vous envoient des rabatteurs, c’est que tout a été écrit avec soin. Les scénaristes ont bien fait gaffe à ce que chaque situation soit un minimum originale, pour éviter la répétitivité des quêtes-Fedex. Même quand un contrat consiste simplement à buter un mec, il y a derrière une explication, une logique, une mini-histoire qui vient justifier la demande, ou encore un lieu singulier, une approche étonnante. Et les plus savoureuses restent les quêtes secondaires : c’est l’occasion d’une multitude de variations autour des activités de la ville. Des défis de combats de rue de plus en plus difficiles à remporter, des personnages à aider plus profondément, auxquels on peut s’attacher jusqu’à nouer des romances (Judith, je t’aime), des découvertes impromptues qui vous mènent dans des intrigues de dingue, comme lorsque vous vous retrouvez à devoir sauver une usine de voitures d’une IA devenue folle. J’en passe et des meilleures.

(une remarque au passage : une fois de plus, voici un jeu considéré comme un RPG que je ne considère pas comme un RPG. Nos choix ont très peu d’influence sur le déroulé, et on est très peu « libres » d’incarner un personnage singulier. Alors si « RPG » ça veut dire qu’on fait du loot (merdique) et qu’il y a un arbre de compétences (nul), à ce moment-là tous les jeux d’action/aventure sont du jeu de rôle. Mais moi j’appellerai ça du Action/Aventure)

C’est la marque de fabrique de CD Projekt, et c’est encore aussi brillant que dans The Witcher 3, qui avait marqué les esprits pour les mêmes raisons. Arrive donc le petit jeu des comparaisons. Est-ce le meilleur open world auquel j’ai joué ? Non. J’ai préféré The Witcher 3 pour son univers, encore plus emballant même s’il était esthétiquement moins beau. Et bien que je n’aime pas beaucoup Rockstar parce que GTA me laisse indifférent, j’ai tout de même préféré leur Red Dead Redemption II, qui lui ne souffrait pas des tares techniques qui ont gêné mon immersion dans Cyberpunk. J’ai pris du plaisir, c’est indéniable. L’histoire et les personnages m’ont fait vivre de grands moments, et j’ai adoré explorer la ville. Mais dans un open world, ce que je demande en priorité c’est de me sentir inclus dans la diégèse. Et de ce point de vue c’était frustrant, parce que mon inclusion n’a jamais été totale. Ce qu’il ma manqué sur ce jeu, c’est de la couche de soin qui enrobe les œuvres pleinement réussies.

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